Le gouvernement vient de publier la Circulaire de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19.
Pour mémoire, l’Ordonnance du 25 mars 2020 sur les délais, comme d’ailleurs d’autres ordonnances adoptant des mesures d’urgence pour faire face à l’épidémie, ont défini la fin du régime qu’elles ont instauré en fonction de la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Les rédacteurs de la Circulaire soulignent cependant que la date d’achèvement de ce régime dérogatoire n’est ainsi fixée qu’à titre provisoire.
En effet, elle méritera d’être réexaminée dans le cadre des mesures législatives de préparation et d’accompagnement de la fin du confinement.
Ainsi que le Président de la république l’a annoncé dans son allocution du 13 avril 2020, la fin du confinement devrait s’organiser à compter du 11 mai 2020.
Selon les modalités de sortie du confinement qui seront définies par le Gouvernement, la fin de la « période juridiquement protégée » sera adaptée pour accompagner, le cas échéant plus rapidement qu’il était initialement prévu, la reprise de l’activité économique et le retour aux règles de droit commun de computation des délais.
Parmi les dispositions de cette Ordonnance du 15 avril 2020, il est notamment souligné que les délais qui ont été suspendus par l’Ordonnance du 25 mars 2020 ne concernent pas les délais contractuels.
L’article 2 de l’Ordonnance précitée n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit en effet un mécanisme de report du terme ou de l’échéance : pour les actes, actions en justice, recours, formalités, inscriptions, déclarations, notifications ou publications prescrits par la loi ou le règlement, et qui devaient être réalisés pendant la période juridiquement protégée définie à l’article 1er (période d’état d’urgence sanitaire + 1 mois), le délai légalement imparti pour agir court de nouveau à compter de la fin de cette période, dans la limite de deux mois.
Toutefois, l’article 2 de l’Ordonnance du 15 avril n° 2020-427 précise, à titre interprétatif, que les délais de réflexion, de rétractation et de renonciation sont exclus du champ de l’article 2 de l’Ordonnance du 25 mars 2020.
Le garde des sceaux prend pour exemple un acte sous seing privé ayant pour objet l'acquisition d'un immeuble neuf d'habitation a été conclu le 12 mars.
L’acte a été adressé à l’acquéreur qui l’a reçu le 14 mars. Après le 24 mars, soit à l’expiration du délai de 10 jours à compter de cette réception, l’acquéreur non professionnel ne peut plus se rétracter.
Néanmoins, l’Ordonnance du 15 avril 2020 s’intéresse en réalité de près à l’exécution des contrats puisque son article 4 modifie les règles applicables aux astreintes, aux clauses pénales, aux clauses résolutoires et aux clauses de déchéance qui sanctionnent l’inexécution d’une obligation dans un délai qui expire pendant la période juridiquement protégée.
Dans l’Ordonnance du 25 mars 2020, il est prévu que ces clauses sont réputées n’avoir pas pris cours ou effet pendant la période juridiquement protégée.
L’article 4 de l’Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 modifie cette règle et ajoute un alinéa relatif aux astreintes, aux clauses pénales, aux clauses résolutoires et aux clauses de déchéance qui sanctionnent l’inexécution d’une obligation dans un délai qui expire après la période juridiquement protégée.
Il est en effet désormais prévu que le report sera égal au temps écoulé entre d’une part, le 12 mars ou la date de naissance de l’obligation si elle est plus tardive, et d’autre part, la date à laquelle l’obligation aurait dû être exécutée.
Le report court, à l’instar de ce que prévoyait la précédente ordonnance, à compter de la fin de la période juridiquement protégée.
Les rédacteurs de la Circulaire donnent notamment l’exemple suivant :
Un contrat conclu le 1er février 2020 devait être exécuté le 20 mars 2020, une clause résolutoire étant stipulée en cas d’inexécution à cette date. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue.
En vertu du dispositif mis en place par l’Ordonnance, les effets de la clause seront reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 12 et le 20 mars, ce report courant à compter de la fin de la période juridiquement protégée. Ainsi si la période juridiquement protégée prenait fin le 24 juin, la clause résolutoire prendrait effet le 3 juillet (fin de la période juridiquement protégée + 8 jours).
Par ailleurs, en application de l’Ordonnance du 15 avril 2020, le cours et les effets de ces astreintes et clauses sont reportés d’une durée égale au temps écoulé entre d’une part, le 12 mars ou la date de naissance de l’obligation si elle est plus tardive, et d’autre part, la fin de la période juridiquement protégée.
Le report court ici à compter de la date à laquelle les astreintes et clauses auraient dû prendre cours ou produire effet en vertu des stipulations contractuelles
A titre d’exemple, un contrat conclu le 1er février 2020 devait être exécuté le 1er juillet 2020, une clause résolutoire étant stipulée en cas d’inexécution à cette date. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue.
En vertu du dispositif mis en place par l'Ordonnance, les effets de la clause résolutoire seront reportés d’une durée égale à celle de la période juridiquement protégée, ce report courant à compter du 1er juillet 2020. Ainsi si la période juridiquement protégée devait prendre fin le 24 juin, le report serait de 3 mois et 12 jours ; la clause résolutoire prendrait donc effet le 13 octobre 2020.
Nous savons que nous sommes dans une période difficile, traversée par de nombreuses incertitudes.
Le gouvernement adopte des mesures qui viennent apporter une nécessaire souplesse à l’application des délais en cette période troublée, en cette période où l’économie et les administrations sont pratiquement à l’arrêt.
Que les mesures adoptées soient imparfaites et qu’il puisse subsister des zones d’ombre est inévitable. A ce titre, les griefs adressés au pouvoir réglementaires en ce temps de crise sont pour la plupart excessifs.
Toutefois, la lecture de cette Ordonnance confirme que les mesures exceptionnelles adoptées au mois de mars vont être constamment remaniées, constamment repensées et constamment modifiées pour être constamment réinterprétées.
Il s’agit d’une source d’insécurité juridique supplémentaire et extraordinaire, qui vient s’ajouter aux incertitudes économiques inhérentes à la crise sanitaire que nous traversons.
Cette insécurité juridique-là était sans doute – pour une large part en tout cas - évitable.
Les cocontractants ont cru pouvoir bâtir un projet sur la base des dispositions d’un contrat.
La crise sanitaire bouscule cet équilibre.
Afin d’éviter des injustices et des situations insolubles, le pouvoir réglementaire prend une ordonnance à la fin du mois de mars afin d’encadrer et d’accompagner les situations juridiques perturbées par la crise sanitaire. C’est heureux.
Les parties au contrat réaménagent en conséquence leur projet et tentent d’ajuster leur organisation, et leur manière de se projeter dans l’exécution du contrat en misant sur les dispositions de la Circulaire du 25 mars 2020.
Or, voici que les réajustements des parties au contrat sont de nouveaux bousculés, non plus par la crise sanitaire elle-même, mais par une Ordonnance nouvelle qui vient remodeler l’Ordonnance initiale, qui vient ajouter de nouvelles règles à celles affirmées à la fin du mois de mars.
Là où il y a de l'insécurité juridique, il y a un risque de litiges. Il y a fort à parier que la justice qui est déjà dramatiquement débordée, ne le soit pas moins à la sortie de la crise sanitaire.