mardi 04 février 2020

Maître, comment pouvez-vous défendre celui-là ?

par

 

Je ne suis pas très bien placé pour parler de ce sujet puisque j’ai cette chance inouïe, ce luxe suprême de n’avoir que des clients innocents...!

Plus sérieusement, la question « Maître, comment pouvez-vous défendre celui-là » et ses variantes (Maître comment pouvez-vous défendre cette pourriture ou cette ordure) est inévitable pour l’avocat, du moins pour l’avocat qu intervient en Droit pénal (celui qui défend notamment délinquants et criminels).

C’est la question tarte à la crème, l’interrogation type, l’interpellation clichée…

Il n’y a pas une question plus agaçante que celle-ci pour un avocat, de sorte qu’il faut être complètement maso pour en faire un sujet de conférence.

L’avocat la vit comme une sorte d’agression qui l’oblige en permanence à se justifier sur la légitimité de son métier et qui lui renvoie à la figure cet aphorisme qui a justifié la suppression de l’avocature pendant la révolution : « un avocat ? Pourquoi faire ? L’innocent n’en a pas besoin. Et le coupable ? Et bien il ne le mérite pas. »

 

Et pourtant, aux yeux du quidam, du citoyen lambda, du non initié aux affaires judiciaires, cette question « Maître comment faites-vous » est la plus légitime qu’il soit, la première qui lui vient à l’esprit.

En effet, comment l’homme en robe, qui est pourtant encore (à tort diront certains !) crédité d’une certaine respectabilité, peut-il prêter son concours, mobiliser son intelligence et déployer son art et son savoir au profit de certains individus à qui l’on dénie la qualité d’êtres humains et que l’on qualifie confortablement de monstres pour se persuader de n’avoir rien en commun avec eux, pas même l’humanité.

Ex : le pédophile, le tueur d’enfant (pour les personnifier : Michel FOURNIRET, Marc DUTROUX)… Mais aussi, les terroristes islamistes.

 

Le point est très sensible : j’ai conscience que ce que je dis est choquant mais dans une démocratie libérale, tout le monde a le droit d’être jugé au terme d’un procès équitable, après avoir été défendu et assisté par un avocat : la grandeur (et la faiblesse !) de ces démocraties tient à ce qu’elles reconnaissent des libertés même aux ennemis de la liberté.

Loin de moi l’idée de justifier les actes atroces et inexcusables de ces personnes. Et certainement, si l’un de mes enfants devait en être un jour victime, aurais-je du mal à tenir ce discours.

Et pourtant, je veux croire que chez un être humain, le mal absolu n’existe pas, que c’est toujours plus compliqué que cela, et que, pardon d’être cul-cul la praline, il y a toujours une part de lumière et d’obscurité en chacun (pensez au combi Volkswagen du 1er ministre Jean Marc AYRAULT)

 

En réalité, cette question « Maître comment faites-vous ? » procède tant d’une profonde méconnaissance du métier d’avocat, que d’un malentendu sur le rôle de celui-ci, mais également d’une conception manichéenne, donc réductrice, de la nature humaine.

Donc si la question se pose, c’est qu’il y a 3 préjugés erronés :

 

 

  • Premier présupposé erroné : L’avocat connaît toujours la vérité sur son Client.

 

L’avocat serait donc lui-même un menteur et il prêterait son concours à une tromperie commise contre le juge de sorte que la plaidoirie ne serait qu’une vaste escroquerie au jugement.

Et la question « comment faites-vous...? » sous-entend alors ici : « Maître comment pouvez-vous vous rendre complice des mensonges de votre client ? »

 

 

  • Deuxième postulat inexact : défendre, c’est forcément dire et tenter de démontrer que son client est innocent

 

Et la question « comment faites-vous...?» implique alors ici :

« Maître comment pouvez-vous dire qu’il est innocent alors qu’il est coupable ? »

(Étant déjà observé que juridiquement, quelqu’un n’est coupable que quand il fait l’objet d’une décision de justice qui le condamne ; avant, il est présumé innocent.)

 

 

  • Troisième hypothèse contestable : certains êtres humains sont des monstres

La question se pose alors ainsi :« Maître, comment pouvez-vous venir au secours d’un monstre » (Celui qui a commis les faits les plus abjects serait un monstre ? Or, on ne peut réduire une personne à ses actes)

***

 

3 interrogations donc synthétisées en une seule :

« MAÎTRE, COMMENT POUVEZ-VOUS DEFENDRE CELUI-LA ? »

 

- Qu’est-ce qu’exactement défendre ?

- Qui est réellement celui-là (mon frère qui est tombé) ?

- Comment l’avocat s’accommode-t-il de sa mission avec sa conscience ?

 

On va se pencher successivement sur ces 3 points en commençant logiquement par le dernier !

 

  • I) L’avocat et la vérité : ce sont les pièces du dossier qui sont la ligne directrice de la défense de l’avocat et non les dires de son client

 

    • A) Le client teste ses mensonges sur l’avocat car il pense, à tort, que l’avocat se démènera moins pour défendre un client qu’il sait coupable

 

Il y a un certain type de client qui dissimule systématiquement à l’avocat la vérité.

Dans ces conditions, difficile de reprocher à l’avocat de mentir quand il ne peut connaître la vérité.

 

Exemple où l’avocat doit composer avec les mensonges de son client :

 

Madame X, 25 ans poursuivie pour accident de la circulation + délit de fuite.

 

Je la reçois au Cabinet; elle me dit : « c’est pas moi, j’ai prêté ma voiture à quelqu’un d’autre. »

Je n’ai aucune raison de mettre en doute sa parole. Je vais consulter le dossier de la procédure au Tribunal.

Lors de son audition, les enquêteurs lui demandent évidemment le nom et le prénom de la personne qui conduisait la voiture : "Marthe Quincampoix" (prénom et nom modifiés pour les besoins de la cause)

Réflexe des enquêteurs de la police nationale: recherche de la personne citée sur Google-Facebook-Linkedin.

Personne !

Or, il n’y a que très peu de personnes aujourd’hui dont on ne trouve trace de l’existence sur le web.

 

De retour au Cabinet, j’appelle ma facétieuse cliente, et lui dit :

« Loin de moi l’idée de vous faire avouer un délit que vous n’avez pas commis, mais si vous ne me donnez pas des informations sur la personne à qui vous avez prêté votre voiture, l’audience va être un massacre. »

 

Qui en effet prêterai sa voiture a quelqu’un qu’il ne connait pas ?

Elle me dit:  "je réfléchis et je vous rappelle".

 

Son appel ne se fait pas attendre et la sonnerie du téléphone se fait rapidement entendre :

« Maître, et bien on va dire que c’est moi »

 

Dénouement de l’affaire :

Le jour de l’audience, le Juge lui dit :« Heureusement que vous avez reconnu les faits, parce que je vous avoue que quand j’ai lu votre audition dans laquelle vous invoquez cet alibi oiseux du prêt de la voiture à une autre conductrice, la moutarde m’est montée au nez. »

 

Et, me regardant, le Juge dit :

« Maître, on lui met combien ?

  • un avertissement judiciaire suffira » 

Résultat : 150 euros d’amende avec sursis.

 

Moralité : L’avocat ne connaît pas toujours la vérité…

Mais surtout, il doit bien se garder de la chercher.

 

 

  • B) L’avocat ne doit pas rechercher la vérité, il doit rechercher la meilleure défense

 

L’allégorie de la justice est une femme aux yeux bandés qui tient une balance avec des plateaux en équilibre. Il y en a 2, il faudrait en mettre 3.

La justice est un équilibre, c’est un tiraillement, un jeu de contrepoids entre 3 aspirations qui peuvent être contraires :

  • La recherche de la vérité : c’est le travail du juge
  • La défense de l’accusé : c’est le travail de l’avocat
  • La défense de la société et de son bon ordre atteint par le crime commis par l’accusé : c’est le travail du procureur de la République.

Si l’un des protagonistes sort de son rôle, le plateau est déséquilibré.

 

Si l’avocat recherche la vérité, le client est jugé par 2 juges et défendu par 0 avocat.

 

 

Exemple où la recherche de vérité par l’avocat se révèle risquée :

Un mineur est renvoyé devant la Cour d’assises d’Orléans pour 9 braquages (vols en réunion avec armes et séquestration)

J’interviens au pied levé pour le défendre, son avocat habituel n’étant pas disponible. L’accusé ne me connait pas et je ne le connais pas.

Je lui rends visite en prison (où il est en détention provisoire) pour préparer le procès. J’ai un an de barre. Par naïveté, inexpérience et voyeurisme, je lui dit : « entre nous, vous les avez vraiment commis les braquages qu’on vous reproche ? »

- « Sur les 9, 7 oui. Le premier et le dernier non. »

 

J’étais bien embêté car le dossier permettait de l’innocenter pour les 9. Pas de preuve, de trace ADN, pas de vidéo surveillance. Je n’avais qu’une peur, c’était de faire une gaffe le jour du procès en posant à mon client une question qui présupposait qu’il était présent sur les lieux du crime.

 

Enseignement : l’avocat ne doit pas se préoccuper de la recherche de la vérité mais de la recherche de la défense qui soit la plus juste et efficace.

 

  • II) L’avocat et la défense : défendre, ce n’est pas forcément crier à l’innocence de son client mais raconter son histoire

 

Si défendre ce n’est qu’excuser, justifier, clamer l’innocence de son Client alors oui certaines personnes sont indéfendables.

Si défendre, c’est raconter comment la part d’humanité d’un être va au fil des années s’abîmer pour ne laisser plus subsister que cette part d’ombre qui est tapie au fond de nous, alors oui n’importe qui, même la pire ordure a le droit à ce que quelqu’un se lève pour lui, seul contre la foule, pour prendre la parole a sa place et raconter comment on en arrivé là.

 

Par exemple, pour raconter comment un jeune artiste peintre autrichien, timide et laborieux, devient l’un des plus grands bourreaux sanguinaires de l’histoire du XXème siècle.

Un auteur s’y est risqué, dans le livre « la part de l’autre » qui raconte avec beaucoup de talent le basculement de l’humain vers le « monstre ».

Cet auteur, c’est Eric Emmanuel SCHMITT et il a écrit la plus belle plaidoirie qu’aurait pu faire l’avocat d’HITLER.

Défendre, c’est faire entendre une autre voix que celle de la foule, de l’opinion publique qui réclame la tête de l’accusé : « l’opinion publique, chassez-la du prétoire cette intruse, cette prostituée qui tire le juge par la manche. » (Vincent de MORO-GIAFFERI)

Ex : naufrage judiciaire d’Outreau et présomption médiatique de culpabilité des accusés qui seront finalement innocentés.

Autre exemple : Défendre, c’est éplucher le dossier pour voir si la thèse officielle ne souffre pas de contestation : dossier DUPONT DE LIGONNES, le rôle de l’hypothétiqe avocat de la défense serait le cas échéant: examiner la description des cadavres, tailles qui ne correspondraient pas, etc..

***

Défendre ce n’est donc pas toujours demander la reconnaissance de l’innocence du client.

Si le Client conteste les faits et que le dossier permet de soutenir sa thèse, alors oui défendre c’est demander l’innocence. (relaxe pour un délit, acquittement pour un crime)

 

Si les pièces du dossier ne corroborent pas les dires du client et que ce dernier ne veut pas avouer, soit l’avocat se soumet (et s’humilie donc : on sera dans le théâtre plus que dans la plaidoirie) soit il se démet (il renonce à défendre le client, ce qui est plus difficile quand l’avocat est commis d’office.)

 

Si le client reconnait les faits, défendre c’est réhumaniser la personne, parler de sa trajectoire, de sa personnalité, chercher non pas à excuser, justifier les faits, mais à les expliquer, les comprendre.

Par exemple, comment un adorable petit enfant, espiègle, rieur, joueur et attachant, devant lequel tout l’entourage familial et amical était en admiration, peut devenir 40 ans plus tard….  Michel FOURNIRET.

 

 

III) L’avocat et l’être humain : un homme qui commet des actes monstrueux n’est pas un monstre

 

« L’avocat défend une personne et pas des causes : sa parole est à qui la demande » (JM VARAUT) »

 

L’avocat défend une personne et pas un monstre ; il porte la voix de la persone et n'est pas le porte parole de ses actes monstrueux.

On l’appelle monstre pour le mettre hors de la catégorie des êtres humains, pour n’avoir aucun point commun avec lui.

On ne peut pas réduire une personne à ces actes. Nous-mêmes n’aimons pas être réduits à nos actes : quand l’on ment, et on le fait tous, on ne peut se résoudre à se voir qualifier sans nuance de menteur.

Avons-nous bien pensé à la manière dont nous serions perçus par les autres si nos pensées les plus intimes et inavouables, nos phantasmes, nos pulsions étaient jetées sur la place publique.

Quand vous écrivez un SMS un peu lourd à un ami avec une blague graveleuse, soyez sûrs que si un jour la justice se penche sur votre cas, elle aura tôt fait de considérer ces éléments hors de leurs contexte pour le cas échéant vous qualifier de pervers, de psychopathe…

 

Exemple : Quand un prêtre commet une agression sexuelle sur une femme majeur, en l’occurrence en lui caressant un sein, c’est évidemment choquant, scandaleux, dévastateur pour la victime et l’auteur doit être punit.

Mais une défaillance de 3 secondes, aussi grave soit-elle pour la victime, ne peut faire à elle seule oublier 40 ans de ministère pendant lesquels il a guéri des âmes tourmentées, réparé des êtres brisés et même sauvé des vies pourtant prêtes à en finir…

***

A cette question « Maître, comment pouvez-vous défendre celui-là ? », Jacques VERGES (avocat de Klaus BARBIE et de Carlos (le terroriste, pas "big bisous")) répondait :

« Mais enfin, plus l’accusation est grave, plus le devoir de défendre est grand ; que dirait-on d’un médecin qui refuserait de soigner un malade du sida sous prétexte qu’il n’approuve pas certaines postures érotiques. On lui relirait le serment d’Hippocrate ».